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Le titre du livre en effet promet une idée que le livre ne tient pas. C’est que Mme Gay est incapable de cette idée. Elle sait, comme tout le monde, ce que c’est que des ridicules, mais ce que c’est que le ridicule, elle ne le sait point. Elle ignore s’il a sa raison d’être, s’il existe créé par l’opinion seule ou indépendant de cette opinion que Pascal appelait la reine du monde ; s’il est enfin la transgression d’une loi d’ordre et d’harmonie ou simplement une grimace, un faux pli de l’organisation humaine, une faute ou une infirmité.

Elle ignore tout cela et elle ne s’en informe ni ne s’en inquiète. Elle ne songe pas à examiner le problème posé en passant par Napoléon avec sa brusquerie féconde « du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. » Pourquoi ? Toute cette métaphysique n’entre pas dans cette tête étroite. Observatrice myope, elle n’a vu, à ce qu’il paraît, que des ridicules gais, que les ridicules qui font rire et qui, pour cette raison, font rechercher par le monde ceux qui les possèdent pour qu’on puisse agréablement se moquer d’eux. Telle est, en effet, la donnée frivole du livre de Mme Sophie Gay. Je l’ai déjà signalée, mais je veux la donner comme elle la donne elle-même, à sa première page, dans ce style qui a vieilli, mais qui ne s’est pas bonifié en vieillissant :

« Ô vous que la nature et l’art ont favorisés ! (dit-elle) descendez dans votre cœur, compulsez (oh ! compulsez !) tous les souvenirs qui l’honorent le plus, évoquez vos vertus premières, vos agréments naturels ou étudiés (roulez donc, période, roulez donc !) et dites si aucune de vos nobles qualités, aucun de vos dons précieux vous a jamais rapporté autant que le moindre de vos ridicules ! » Et enchantée de cette idée, bonne tout au plus pour une comédie de société, elle ajoute plus bas : « Il n’est pas de grand talent, de grand personnage plus choyé que l’homme ridicule dont la manie doit occuper et divertir une société entière, toute une réunion de moqueurs… » Mais, s’il y a d’autres ridicules que