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était parvenue à faire de son esprit je ne sais quel talent sans naturel, sans originalité et sans grâce. Quoiqu’elle ait écrit bien davantage, elle était au fond très au-dessous de Mmes  de Flahaut et de Duras, ses contemporaines, que les jeunes gens du temps, dans de jeunes journaux, ont appelées des femmes de génie, mais dont les œuvres, quand on les relit (et qui les relit ?), font l’effet maintenant de ces roses qu’on a mises entre les pages d’un livre et qu’on y retrouve aplaties, jaunies, n’offrant plus qu’un squelette de rose avec une odeur de mort… de rose… il est vrai… mais de mort.

Elle avait toujours eu, je crois, le tort de n’être pas jolie. Pour une femme, un pareil tort mène à tout. Qui sait ? Peut-être de désespoir se lança-t-elle dans la littérature, qui fut pour elle, hélas ! ce qu’elle est pour la plupart des femmes, une occasion de conversation, de commérages et de coterie ; car jamais les femmes n’ont rien compris à la grande littérature solitaire. En province, où elle vécut d’abord ; à Paris, où elle vint plus tard, elle n’aspira jamais qu’à être la Philaminte d’un cercle mieux composé que celui des Femmes savantes, et dont les Vadius et les Trissotin ne furent rien moins que Soumet, alors dans toute sa gloire, — Soumet, sur le corps de qui ont passé Lamartine et Victor Hugo, — Guiraud, Émile Deschamps et le marquis de Custine, un grand artiste à peu près inconnu, très-grand seigneur avec la gloire qu’il n’a pas courtisée, et dont le marquis de Fondras, l’héritier de son immense fortune, a oublié de publier les œuvres complètes, quand on imprime celles de Mme  Gay !

Donner à causer (on causait alors), lire ses romans à ses intimes, recevoir dans sa loge à l’Opéra les littérateurs qui, à Paris, sont toujours un peu femmes et qui aiment à se montrer à leur public ; un soir exhiber dans son salon le jeune Victor Hugo, l’enfant du génie qui a commencé (ce qui n’est ni très-poétique, ni très-sauvage) par des succès de société, comme M. Ponsard ;