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qui a songé à signaler cette réimpression des œuvres complètes de Mme  Gay, et à dire sur elle ce mot suprême après lequel on ne dit plus rien, et qui est à une renommée ce que le dernier clou, qu’on y plante, est à un cercueil ?

C’est que le talent de cette femme qui a eu sa minute de célébrité ne fut pas assez grand pour l’arracher à cette triste et vulgaire condition de bas-bleu, dans laquelle reste toute femme égarée dans les lettres, qui n’a pas nettement du génie. Je ne serai pas plus dur que l’histoire qui l’atteste, en affirmant qu’il ne faut rien moins que du génie pour qu’une femme se fonde une réputation durable, en écrivant. Prenez-les toutes, si vous voulez, celles qu’on ne lit plus, depuis Mlle  de Scudéry, qui écrivait des romans, jusqu’à Mme  Barbié du Bocage, qui écrivit un poëme épique, les femmes, même avec de l’esprit et du talent, n’arrivent jamais à des succès qui durent, et c’est une justice de la destinée, car les femmes n’ont pas été mises dans le monde pour y faire ce que nous y faisons…

Quand l’homme y fait l’ange, il y fait la bête, dit ce brutal de Pascal, mais lorsque la femme y fait l’homme, cela suffit, à ce qu’il paraît, pour arriver au même résultat. Faire l’ange lui siérait beaucoup mieux. Pour qui une femme ne l’a-t-elle pas été au moins une fois dans sa vie ?… Or le génie, qui peut presque légitimer ce désordre d’une femme qui se jette dans l’abîme de la littérature, ce génie au nom seul duquel on peut remettre à la femme son péché, — son péché d’écrire, mortel à sa nature et à sa fonction sociale, — Mme  Sophie Gay, — il faut bien en convenir, — ne l’avait point. Elle n’était qu’une femme d’esprit, très-inférieure. — par cela même qu’elle écrivait, — à une foule de femmes d’esprit de son temps qui n’écrivaient pas.

En se travaillant immensément, en se tortillant, en se donnant beaucoup de courbatures, Mme  Sophie Gay, qui pouvait rester une femme du monde spirituelle,