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n’appelle pas des lettres, moi, ni vous non plus, n’est-ce pas : « Madame, je dîne à six heures ; apportez-moi mon bonnet ; » ou : « Je me mets aux pieds de votre Altesse et la prie d’agréer tous mes respects » ? Cela, c’est la vulgarité inévitable de la vie ; ce sont les choses, plates et nécessaires, que la dernière sotte peut écrire tout aussi bien que la première des femmes d’esprit. C’est comme se moucher et éternuer, cela ! Parbleu ! le génie se mouche et éternue ! En voudriez-vous recueillir et fixer les éternuments ?

Voilà cependant, à peu près, le genre de lettres qu’on publie sous ce nom qui fait supposer tant de choses, sous ce nom de Mme de Staël ! Pauvre madame de Staël ! On a dit qu’il n’y avait pas de héros pour les valets de chambre : mais les nièces ! les nièces, ce serait donc pis ?… Et lorsque nous n’en aurions pas, ce ne serait pas une raison pour être tranquilles : nous aurions celles de nos amies ! Pauvre madame de Staël ! C’était bien la peine de se peindre en Corinne au Capitole pour que, quelque quarante ans après votre mort, une femme, un bas-bleu, dont le bleu n’est que la teinture de plusieurs autres auxquels elle s’est frottée et qui veut que ce bruit lui revienne et lui profite, se lève tout à coup et dise : Écoutez comme elle se mouchait !

Et encore si Mme Le Normand, l’auteur de Madame de Staël et de la Princesse Louise, l’avait dit franchement, eh bien ! écouterait qui voudrait le bruit conservé, lirait qui voudrait les petits papiers qu’on exhume, mais on ne s’est pas contenté de jouer simplement des grands noms dans l’intérêt d’un livre qui n’a que l’intérêt de son titre. Mais on a fait beaucoup plus ! Mme Le Normand se vante (à la page 10) de nous éclairer Mme de Staël d’un jour plus vrai que celui sous lequel on la voit communément. C’est hardi, et surtout ce n’est pas dit d’une façon commune ! Communément, Mme de Staël passe pour une des meilleures et des plus généreuses femmes qui aient jamais existé. Elle avait le cœur de