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de femme dans nos esprits, d’un livre qui l’abaissait évidemment, en nous la montrant dans les insignifiances de la vie.

Eh bien ! comme c’est l’usage, du reste, l’auteur de Coppet et Weymar n’a tenu nul compte de la critique, et elle continue son petit commerce de correspondances et de souvenirs. Aujourd’hui après Mme Récamier et Mme de Staël, c’est encore, une seconde fois, Mme de Staël ! Mme de Staël, on le sait, fut pour Mme Récamier cette chose rare, plus rare que cette autre déjà si rare, un ami ! Elle fut une amie ! Les licornes sont plus communes qu’une amitié entre femmes, et Mme de Staël et Mme Récamier ajoutèrent ce phénomène-là à tous les autres phénomènes. Qui dit Mme Récamier pense forcément à Mme de Staël. C’est, sans doute, pour cette raison que Mme Le Normand, la nièce de Mme Récamier, s’est crue un peu la nièce de Mme de Staël, et qu’elle l’a traitée identiquement comme sa tante, en publiant une correspondance dont nous parlions au chapitre précédent, qui déshonorerait Mme de Staël comme femme d’esprit, si nous n’avions pas ses livres. Ô parentés ! réelles ou d’adoption, que vous êtes quelquefois intelligentes et aimables !

Et ce n’est pas — qu’on m’entende bien ! — le fait de la publication des Lettres de Mme de Staël ou de Mme Récamier que je blâme : non pas ! Si vous en avez, de ces lettres, dans lesquelles l’âme et l’esprit de l’une et de l’autre aient laissé leur trace enflammée ou parfumée, ou lumineuse, donnez-les ! montrez-lez ! Voyons ! Des lettres ! mais cela vaut cent fois mieux que des livres ! C’est le vrai du vrai, c’est la première fraîcheur de la source, c’est l’enfant ébouriffé avant le coup de peigne de sa mère ! Il faut surprendre les yeux qu’on aime, quand ils s’ouvrent tout grands le matin, pour juger de la pureté de leur cristallin, sous cette lumière d’aurore, et pour bien savoir ce que c’est que la beauté de deux beaux yeux ! Tel est l’effet des lettres. Mais je