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sainte, dans cette pauvre religieuse à névrose, et de rappeler, — mais non pas pour qu’il s’en corrige, — l’aimable accueil que, de toute éternité, le monde fait également à ses poëtes et à ses saints !


II


S’il n’y avait eu que le monde, en effet, autour de l’obscure religieuse de Westphalie, le monde du monde, ou le monde du couvent, — car le couvent parfois dans un certain sens est le monde, — qui saurait seulement son nom aujourd’hui ?… Cette Sœur Emmerich, que l’Église placera peut-être un jour entre les Brigitte et les Thérèse, aurait passé de l’extase au ciel, laissant dans les quelques yeux défiants, envieux, épouvantés, de ceux qui la virent, l’impression, ensevelie maintenant avec eux, d’un spectacle incompréhensible ! Mais heureusement pour nous, et j’ose dire heureusement pour elle, — car l’âme des saints doit être avide, même dans le ciel, de faire, par leur exemple, d’autres saints sur la terre, — il y eut dans sa vie, toujours cachée ou empêchée, le hasard providentiel de la rencontre d’un poëte et d’un cœur religieux, sans lequel nous n’aurions aujourd’hui ni l’immense poëte qu’elle fut, elle, ni la sainte aux grâces transcendantes, que M. Cazalès a traduites toutes les deux dans la langue catholique du monde, puisqu’il les a traduites en français.

Oui, pour rester inconnue, excepté de Dieu, il ne s’en est fallu que de la mince épaisseur de l’homme qui admira, sans réserve et sans peur, le spectacle qu’elle faisait à elle seule et qui était d’une sublimité si déconcertante que les cœurs les plus forts en tremblaient, et que les esprits les plus ouverts aux choses de la foi se fermaient presque au témoignage de leurs yeux qui le contemplaient. Stolberg lui-même, malgré sa piété et sa candeur, n’aurait pas suffi. Il fallut Brentano, — Bren-