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d’entre eux n’étaient guère que des pains à cacheter ! Il fallait pour cela une charmeuse comme Mme de Staël. Ce don merveilleux de fascination critique, Mme Sand ne s’en doute même pas !

D’initiative dans les idées, Mme Sand n’en a pas plus, d’ailleurs, que Mme de Staël et que toutes les femmes ; car on fait, pour qu’elles en aient, des idées aux femmes comme on leur fait des enfants ! Mais Mme Sand n’a pas comme Mme de Staël l’aperçu et le mot qui se fixe dans la pensée comme une épingle de diamant. Que si parfois elle a de la couleur pour paysage, prise aux deux palettes de Chateaubriand et de Rousseau, elle n’a point le coloris des idées, si ravissant dans Mme de Staël ! Elle n’a ni la distinction patricienne de celle qui écrivit Delphine, ni le sentiment virginalement poétique qui créa Lucile Edgermond, ni la grâce, la grâce aérienne qui est partout dans Mme de Staël et qui, dans le génie des femmes, est encore le meilleur caractère du génie ! Le sien, à Mme Sand, est plus épais, plus bourgeois, plus prosaïque, et si la passion l’a soulevé parfois, ce n’a été ni bien haut ni bien longtemps… ni surtout bien droit !… Voilà pour l’écrivain en face de l’écrivain ! Mais si, au lieu du génie momentané de l’écrivain, nous touchions à son génie de toujours, à ce génie qui doit s’infuser, quand on en a, dans toutes les minutes de la vie, si nous mettions enfin la morne et silencieuse fumeuse de cigarettes vis-à-vis de cette éternellement éloquente, dont aucune fumée n’a terni la lèvre éclatante, de ce Rivarol-femme, de cette Mirabeau douce…, est-ce que Mme Sand, rapetissée par le contraste, ne disparaîtrait pas du coup ?


IV


Ah ! la femme dans Mme de Staël, la femme qu’on voulait chasser de son génie et que j’y ramène et que je