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plus, et je dirai pourquoi… Elle a la plume légère, mais c’est une plume enlevée à l’aile de cet oiseau que La Fontaine a surnommé « Caquet-bon-bec. » Elle l’a légère et infatigable ; infatigable à effrayer les esprits qui veulent que d’une plume, il tombe quelque chose qui ne soit pas une phrase connue… Les romans de Mme de Chandeneux, qu’on lit sur leurs titres, qui sont séduisants comme le visage d’une jolie femme qui serait sotte, ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que tous ces romans de femmes qui se ressemblent, comme les gravures de mode se ressemblent. On les lit, et je les ai lus sur leurs titres. Mais quelle déception ! Ah ! le génie des titres, c’est l’éclair qui tue.

On croit à une idée entrevue, et on est terrassé par un rien !


II


C’est surtout par les Ménages militaires que je l’ai été. Quel titre meilleur pouvait révéler un sujet plus heureux ! Figurez-vous Balzac, faisant les Ménages militaires ! Lui qui pensait tout et qui pensait à tout, il avait dû les faire, sous un autre nom, dans son encyclopédique Comédie humaine, et c’est ce vide énorme laissé par Balzac qu’une femme aujourd’hui a cru pouvoir combler ! L’a-t-elle vraiment cru ?… Certes, la vanité des bas-bleus a de singulières ivresses ; elle est quelquefois au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Mais pour se permettre de toucher à un sujet sur lequel la main colossale de Balzac avait écrit à suivre ! et qu’il avait annoncé sous le titre de Scènes de la vie militaire, il aurait fallu être, parmi les Bleues, un fier saphir ! Mme de Chandeneux, j’en suis sûr, n’a eu ni cette audace ni cette impertinence. Elle n’a rien cru, ni ne s’est rien permis ; mais elle voulait écrire, mais elle était piquée de la démangeaison d’écrire, mais elle avait le