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le contraste avec les livres ambiants de la littérature contemporaine. Elle n’en a ni le ton trop monté, ni les couleurs matérielles et criantes, ni le rengorgement impie, ni le détail dégoûtant des crudités basses. Elle ne tapage pas tant que cela. C’est une honnête femme, dans ses livres, qui a une nuance de rouge — pas plus ! — sur sa joue et sur sa palette, et qui n’en abuse pas en la fonçant… Une goutte de carmin, tremblant sur ce perce-neige, voilà ce que je tenais seulement à marquer. En vous parlant de l’auteur de la princesse Oghérof et de Dosia, entre l’Assommoir, dont on nous assomme, et la Fille Elisa, qui sera le succès de demain, je tenais à vous présenter cette plume de cygne ou de grèbe, revenue de Russie, et qui n’a pas de tache encore… Les cygnes de l’heure présente, quand il y en a, se teignent en rouge comme des cocottes… Mme Henry Gréville gardera-t-elle son ingénuité, son naturel, sa délicatesse immaculée ? Mon Dieu, je tremble qu’elle ne les garde pas. La voilà à Paris. Elle nous a déballé son bagage russe. Que va-t-elle faire maintenant ?… Elle est aussi, comme Mme Gustave Haller, passée femme de lettres. Elle tripote des livres. Pour un qu’on fait, on n’en meurt pas ; mais pour plusieurs ?… mais pour beaucoup ?… Diable, c’est grave ! Elle fait de la copie. Elle va bleuir son bas lilas. Les roses vieillissent vite et vous savez comme on les appelle, quand on ne les nomme plus des roses… Je ne voudrais pas effacer le nom que je donne encore à Mme Henry Gréville et plus tard être obligé de l’appeler justement et insolemment : un bas-bleu ! un bas-bleu dans toute sa ridicule laideur !