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par les plus grands peintres qui aient jamais existé, et en les décrivant elle semble dire comme Kepler à Dieu : « Soyez heureux de ma venue en Italie, car vous auriez pu attendre longtemps encore une admiratrice telle que moi. »

Ainsi, Moi, Moi, toujours ! — là comme partout ! Le Moi est omniprésent dans le livre ou plutôt dans tous les livres de Mme Colet. Parler de Léonard de Vinci la fait penser à elle. Mais si le Moi est désagréable dans Chateaubriand, jugez de ce qu’il peut être dans Mme Colet ! L’égotisme, pire que l’égoïsme et dont il sort, l’égotisme qui est l’égoïsme rapetissé et babillard, est suprêmement le caractère de l’Italie des Italiens, — de ce livre fait sur les autres par une femme qui ne s’oublie jamais et qui informe l’univers de l’état de son catarrhe, tout en lui parlant de son héros, Garibaldi ! Un jour elle avait écrit Lui, un livre qui n’était pas trop le « Lui » dont elle parlait. Son livre de l’Italie des Italiens pourrait s’appeler : Elle et ne serait pas trop Elle non plus, car Elle s’y peint, comme mère et comme femme — ce qui ne fait rien du tout aux Italiens, ni à l’Italie, ni à la vérité ! C’est, tout à la fois, la femme et la mère de Coriolan. Elle y joue la matrone romaine, et elle n’est que la matrone d’Éphèse ! Elle s’y pose en Artémise, buvant, dans l’encre, les cendres de son époux, quand il est de légende que feu Colet, qui était musicien, et qui n’était pas Socrate, cassait à cette Xantippe, ses meilleurs violons sur la tête… L’hypocrisie du moi n’a d’égale, en son livre, que son impertinence. Elle s’y gonfle comme la grenouille, et quelle déception, elle n’en crève pas !… Vous trouvez en Mme Colet, littérairement, une madame Turcaret, presque aussi grande qu’une madame Trissotin. Mais ce que vous trouvez le plus sous ce masque de républicaine qui signa longtemps « Mme Louise Colet, née Révoil », c’est « la bourgeoise gentilhomme » — la bourgeoise qui meurt d’envie et de rage de n’être pas dans les derniers marquis et qui se