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hommes, comme sur un hippogriffe préférable à tous les chevaux qu’elle a montés, cette écuyère ! Et comme elle aime à la folie ce souffle qui est parfois le scandale et quelquefois la gloire, pur ici et là infecté ! cet engoulevent de renommée a pris aujourd’hui le scandale, en attendant la gloire. Mais est-ce là le moyen de la faire venir ?


IV


Il en est d’autres qui valent mieux et qui sont peut-être à sa portée… On dit qu’elle a un grand talent de musicienne, — un vrai talent d’artiste, — et comme écrivain, — écrivain en français, — cette Cosaque n’en manque pas non plus. Elle a de l’expression. On sent le jet de l’écrivain dans ce style haché et hachant, rapide (c’est sa qualité), mais tendu, forcé, violent, audacieux et de parti pris, abracadabrant ! L’effet y est cherché et cela devait être, du reste, avec une femme de cette nature, amoureuse de tout ce qui résonne, et qui, parce qu’elle a été quittée par un homme, la belle affaire ! crie à nous briser le tympan !

Certes ! pour une femme qui joue à l’Alfieri, dans la première partie de son livre ; pour une Amazone de cette force, ceci est mesquin… de stoïcisme et même de vengeance ; mais c’est que faire du bruit, pour elle, vaut beaucoup mieux que de se venger ! Allez, soyez tranquille ! ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a — une âme d’actrice,