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pour l’honneur de l’Ukraine ! Donc de la Cosaque que je rêvais, et qui aurait pu donner à ce livre, que tous les bas-bleus de France sont capables de confectionner tel que le voilà, un arome, un piquant, une nouveauté, un inconnu dont j’aurais fait beaucoup plus de cas que d’une vengeance d’écritoire, vous voyez si, même en cherchant, de cette Cosaque on trouve la moindre trace ! Excepté une chasse aux loups, racontée presque avec la rapidité du traîneau sur lequel la dame est montée et avec des nerfs auxquels je reconnais la vraie femme, je n’aurais pas, littérairement, le moindre détail cosaque à me mettre sous la dent ; et encore le petit cochon de lait que je n’y mets pas, et qu’en cette chasse où les chasseurs sont chassés, on traîne au bout d’un cordon, derrière le traîneau, pour exciter les loups, qui finissent par le dévorer, ce petit cochon me gâte cette scène cosaque, avec son petit air français. Le cochon de lait n’est pas un animal cosaque. Il est très-commun en France, — plus commun même que les femmes qui y racontent impudiquement leurs amours, quoiqu’elles s’y multiplient beaucoup. Pauvre cochon de lait, du reste, qui me fait l’effet d’un symbole, — le symbole du pauvre Monsieur, traîné par sa Cosaque qui se venge, tout le long du livre, devant tous les loups et tous les chacals de l’Europe ; devant tous ces envieux, féroces et bas, qui sont heureux d’avoir, — n’importe d’où il tombe, — un morceau de grand artiste, dans leurs sales gueules, à déchiqueter !

Le petit cochon de lait criait comme un beau diable de petit cochon qu’il était, au bout de sa corde, sous le museau des loups, qui le humaient comme leur dîner ; mais le Monsieur que la dame cosaque traîne dans le mépris et le ridicule, tout le long de son livre, criera-t-il ?… Telle est la question.