Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte personnel, si elle a des démangeaisons d’ignominie, mais qui n’a pas le droit de la braver pour le compte d’autrui ! Hélas ! il est évident qu’une femme ne peut pas avoir beaucoup de respect pour un homme quand elle l’a vu dans de certaines attitudes. Mais, à défaut de respect, si Prudence, — puisque Prudence il y a, — avait eu le moindre brin de délicatesse, elle n’eût pas, par ses indiscrétions travaillées, dégradé ce vieillard de génie amoureux dont elle a dit d’une plume impertinente et corrompue « qu’il avait les dents belles et le transport agréable et amusant. » Elle aurait gardé, sans le donner à risée ou à mépris sérieux, le souvenir touchant de ce fou à elle et fait par elle ; mais pour cette Prudence et ses pareilles, la question n’est ni l’honneur de Chateaubriand, ni leur propre honneur de cœur. La question est l’exploitation d’un nom illustre, dans l’intérêt d’un dernier scandale, avant de mourir tout à fait.


IV


J’avoue que je n’ai vu que cela dans le livre de Mme de Saman. À partir de cela, tout le reste a disparu. Pauvre Chateaubriand ! S’il revenait au monde, que dirait-il de se savoir si bien habillé ou déshabillé (as you like) dans le livre de sa maîtresse ?… Aussi pourquoi s’aviser d’aimer un bas-bleu, — une de ces Goules de vanité qui s’engraissent de l’honneur des hommes assez imbéciles pour les aimer ?… Le livre de celle-ci est, à part le grand nom de Chateaubriand qui l’étoile, quoiqu’elle l’ait taché, le livre fait et refait sans cesse par tous les bas-bleus de la terre qui n’ont qu’une note comme le crapaud, mais moins harmonieuse. C’est toujours Elles d’abord, et leurs travaux, et leur envie d’être hommes, à ces singesses, — puis la négation de Dieu, — l’insulte à Jésus-Christ, — des prières hystériques au Dieu-Nature, — et par-dessus tout : le Saint Sacrement de