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Lord Byron qui, comme quelques-uns de ses héros, est resté par bien des côtés un mystère, après ce livre, continuera d’en être un… Il semblait cependant qu’une femme, une nature de femme, ne devait pas être entièrement incapable de comprendre quelque chose à cette âme de lord Byron, à cette âme violente et douce, égoïste et magnanime, contradictoire comme toutes les femmes de la terre, et qui avait les deux sexes comme Tirésias. Seulement, pour y connaître et y comprendre, il fallait le tact, la sensibilité, la divination de la femme ; mais on n’a plus rien de tout cela, quand on s’est fourré dans un bas-bleu, cette gaîne étranglante de toutes les facultés des femmes ! Il fallait deviner Byron, ou du moins étudier l’homme sur l’homme, l’aller chercher sous ses œuvres mêmes et ne pas poursuivre son image dans des miroirs plus ou moins tremblants, plus ou moins infidèles où son spectre décomposé oscille toujours ! Il est vrai que l’auteur d’Emmet a dit que, pour elle, le dernier mot de Byron, — le dernier mot possible, définitif et suprême, — était le mot de Villemain ; alors pourquoi le sien, à elle ?… Évidemment il est de trop. Toujours est-il que, quel qu’il soit, c’est le mot des idées communes…

Ce problème curieux et si souvent posé, sans qu’on l’ait résolu, de la moralité de lord Byron, sortira de ce livre comme il y est entré, tout aussi problème que devant. Qui sait ? pour pénétrer ou seulement pour entrevoir un être aussi complexe, aussi désordonné, aussi mêlé de poussière et de lueurs d’étoiles que Byron, une autre femme aurait mieux valu que celle-là qui sait si bien toutes les orthographes de la vie. Seule, la femme, forte en orthographe de l’école doctrinaire, pouvait, à propos du mouvement d’imagination généreuse par lequel lord Byron fut emporté vers la Grèce, écrire, sans se déferrer, dans un style d’institutrice anglaise qui a lu Wilberforce, que Byron n’avait ni la foi d’un croisé (merci de me l’apprendre), ni l’ignorante ardeur