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Seulement le résultat de la chose, si elle arrivait, ne serait pas le même en France qu’en Amérique. En Amérique où l’homme est tout muscle et tout calcul, l’influence exagérée ou prépondérante de la femme ne peut avoir la même portée que chez un peuple d’imagination et de nerfs. Nous, depuis que nous existons, nous avons toujours été un peuple à femmes, et nous ne nous arracherons que bien difficilement la fibre sur laquelle la femme a tant joué ! Ajoutez à ce tempérament de la race, développé pendant des siècles par toutes les habitudes sociales, le sentimentalisme imbécile de la vieillesse dans lequel s’effondrent les peuples autant que les individus. Le phénomène de la servante-maîtresse, si commun chez les vieux galants ; chez les dons Juans les plus superbes, les plus durs à la femme dans leur jeunesse, lorsque l’âge les a suffisamment attendris, peut se produire aussi chez les nations, et il semble que nous y touchions, à ce phénomène.

En effet le genre d’influence que la femme exerçait en France et en Europe, aux temps chevaleresques de leur double histoire, n’est plus, et toute trace en est effacée ; mais elle a été remplacée par une autre, moins généreuse et plus grossière, — et cette autre espèce d’influence tend à devenir un empire, — le Bas-Empire d’un temps où les Monarchies ne tombent plus en quenouille, mais les Mœurs, — si on peut dire de quelque chose « tomber en quenouille » alors que les femmes n’en veulent plus ! Il est, dans l’histoire de l’humanité, des époques de véritable hermaphrodisme social, où l’homme s’effémine et la femme s’hommasse, et quand ces fusions contre nature se produisent, c’est toujours, pour que l’ordre soit troublé davantage, la femelle qui absorbe le mâle jusqu’à ce qu’il n’y ait plus là ni mâle ni femelle, mais on ne sait plus quelle substance neutre, pâtée à vainqueur pour le premier peuple qui voudra se l’assimiler !

Serions-nous donc arrivés à ce degré d’effémination suprême, qui précède la disparition d’un peuple ou d’une