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pensée le bonheur que porte toujours une vertu à qui la pratique et s’en parfume, et il n’est pas étonnant non plus que la charité de cette adorable femme, ait fait de ce parfum, employé longtemps, un baume sauveur pour les âmes éprouvées comme elle !

C’est en effet le seul but auquel elle ait pu viser, si elle en eut un, en traçant sans prétention et à la hâte ces choses aujourd’hui recueillies et qu’il faut conserver. Mme Swetchine, qui n’est pas auteur, — qui en a un jour couru le danger, mais qui y a échappé par cette conversion qui la jeta dans le grand sérieux de la vie et qu’elle n’a jamais racontée (trait caractéristique de la discrétion sur elle-même de cette sympathique femme du monde), Mme Swetchine, ne peut avoir eu que deux buts en écrivant sa pensée : — ou la fixer mieux en la parlant, pour la connaître et lui donner sa forme, pour qu’elle cessât d’être une rêverie et fût bien une pensée, — ou entrer par là dans la pratique morale, dans le conseil, dans le soulagement.

Je l’ai appelée la Sœur de Charité de la vieillesse, et je pourrais dire de toute douleur… Mais ce ne serait pas assez encore. Elle sait guérir, mais elle peut diriger. Théologienne, à sa manière, par le fait d’une intuition surnaturelle qu’elle devait probablement à la prière, si puissante quand elle est bien faite, elle a partout, dans ce qu’on a pu sauver de ses délicieuses griffonneries, une pureté d’orthodoxie pour le moins égale à son exquise pureté de cœur.

Et qu’on me le pardonne, je n’ai pas écrit ce mot de griffonneries sans dessein. En en risquant l’impertinence, j’ai voulu une dernière fois mettre à mes pieds tout ce qui rappellerait la littérature, alors que je parle d’une femme qui avait fini par mettre cette littérature aimée, sous les siens. Elle a dit quelque part : « Il y a des esprits qui font comme les dames chinoises. Ils s’estropient par coquetterie. » Elle, se serait-elle estropiée, si elle fût devenue littéraire ? L’était-elle, de vocation