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par la tache d’huile aussi mollement que l’opinion. Dernièrement, n’avons-nous pas vu une femme d’un talent secondaire, décorée, comme un homme, reconnu grand artiste, ne l’est souvent pas ?… Sans doute puisqu’on voulait refaire, en la féminisant, la scène légendaire de Charles-Quint dans l’atelier du Titien, et qu’une Mme Titien manquait, on pouvait prendre Mlle Rosa Bonheur tout aussi bien qu’une autre.

Ce n’est pas un crime de ne prendre que ce qu’on a. Mais en la décorant comme un homme, c’était une manière d’accepter l’idée qui court dans tous les esprits, cette rue ! qu’il n’est réellement aucun obstacle dans l’organisation de la femme à ce qu’il y ait des mesdames Titien, des mesdames Michel-Ange, des mesdames Shakespeare, à partir du jour où la tyrannique éducation que les hommes imposent aux femmes ne l’empêchera plus !!!

Certes ! nous verrons bien, — comme dit le Misanthrope, — mais toute expérience peut être longue ! Mais en attendant que nous ayons vu, la prétention subsiste, la prétention au génie, cette immense virilité ! Mais en attendant les éblouissantes acquisitions des temps futurs, le bas-bleu médiocre, vaniteux et impudent, fleurit et s’étale, comme jamais il n’avait fleuri, comme il ne s’était jamais étalé ! Jusque-là, il s’était contenté de se cantonner dans quelque coin de livre ou de théâtre, mais le livre, c’était encore trop pudibond et trop mystérieux. Le théâtre même ne donnait pas le succès à visage assez nu, et il lui a fallu des chaires ! D’étranges professoresses (car le bas-bleuisme bouleverse la langue comme il bouleverse le bon sens) se sont mises à faire solennellement des conférences et ont pu trouver des publics. Les hommes qui aiment le plus la plaisanterie y sont allés, non pour y rire, non pour y siffler… même avec une flûte, mais sérieusement ! mais comme à un enseignement possible !

L’américanisme qui nous ronge et qui doit très-jus-