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firent tant de bruit et trouvèrent tant de feuilletonistes à leur service, évidemment parce que l’auteur était femme et femme en rupture de ban du mariage, un inappréciable avantage en France, ce pays de mauvais sujets ! Ces romans n’étaient point, comme on eût pu le supposer, de simples plaidoyers en faveur des désordres d’une vie effrénée, mais une attaque directe et à fond contre l’inégalité matrimoniale, assez mal commode pour l’adultère. En posant la thèse de l’Égalité entre les époux, implicitement, du même coup, Mme  Sand appelait toutes les autres égalités.

Et les femmes ne s’y trompèrent pas. Elles l’en récompensèrent, en la prenant pour une preuve éclatante des idées qu’elle avait exprimées ou fait naître, et en disant aux hommes, à qui elles montrèrent ce qu’elles croyaient des chefs-d’œuvre, les pauvres diablesses : « Vous voyez bien que nous valons autant que vous ! » Et les hommes se laissèrent donner cette claque, d’une joue soumise, et furent heureux, quand ils la reçurent, comme Figaro quand il reçut celles de Suzanne ; mais Figaro avait pour excuse qu’il était amoureux. Ce jour-là, les femmes prirent, dans le monde de la publicité, une position et un pied qu’elles n’y avaient jamais pris. Elles n’avaient jamais été que des êtres charmants, parfaitement femmes et c’était là leur charme, et voilà qu’elles ne voulurent plus l’être. Elles en eurent honte comme d’une faiblesse. Elles ne voulurent plus être la vigne qui enivre et s’appuie, comme dit le moraliste, et qui n’enivre que parce qu’elle s’appuie…

Elles répudièrent toute dépendance, celle de l’amant après celle du mari. Elles tendirent à devenir dans la réalité la femme libre, que le saint-simonisme avait révélée ; car des romans passionnés popularisent une idée et la font passer plus vite dans les idées et dans les mœurs que la plus crâne et la plus cambrée des théories. Ces Erygones, enivrées d’elles-mêmes, crurent pouvoir faire par elles-mêmes (fare da se) comme