Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

poëte. La seconde a été de n’avoir plus le moindre droit aux ménagements respectueux qu’on doit à la femme… Vous entendez, Mesdames ? Quand on a osé se faire amazone, on ne doit pas craindre les massacres sur le Thermodon.


II

Nés, d’appellation, en Angleterre, les Bas-bleus sont de tous les pays. Pour qu’il en naisse un quelque part ; il ne faut qu’une plume, une écritoire et un faux orgueil. En France, où ils se sont multipliés d’une manière si prodigieuse, qu’on peut croire que leur nombre l’emporte sur celui de tous les autres pays de l’Europe, en France, pays salique, encore plus de mœurs que de monarchie, et où le mot de littératrice n’était pas français, les Bas-bleus, avant ces derniers temps, n’existaient presque pas. Quand on en trouve un, comme Mlle Scudéry, par exemple, on s’arrête surpris de ce vilain phénomène dans le pays de la Légèreté et de la Grâce. Il ne faut pas s’y méprendre : les femmes du salon bleu de l’hôtel de Rambouillet n’étaient pas des Bas-bleus. C’étaient des Précieuses d’une insupportable manière d’être, que le bon sens de Molière traita, dans la pièce de leur nom, comme les porteurs de Mascarille le traitent, avec les bâtons de leur chaise. Elles touchèrent au bas-bleuisme, mais leurs bas restèrent toujours de soie, blanche ou rose…

D’un autre côté, qu’une femme comme Mme de Sévigné écrivît, si elle le pouvait, de charmants commérages à sa fille, ou comme Mme d’Aulnoy, des contes délicieux pour des enfants, ce n’étaient pas là non plus des Bas-bleus encore. Le Bas-bleu, c’est la femme littéraire. C’est la femme qui fait métier et marchandise de littérature. C’est la femme qui se croit cerveau d’homme et demande sa part dans la publicité et dans la gloire. Or,