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saignent et brûlent encore. Or, si la justesse du mépris de Tacite, après dix-huit cents ans, a été suspectée, que serait-ce donc s’il s’agissait d’un mépris, supérieur au sien peut-être, pour des hommes vivants qui n’ont donné leur démission de rien, et dont nous coudoyons les fautes et les crimes, les lâchetés et les trahisons ?

C’était là ce que je m’étais dit. J’avais résolu de ne pas traiter un sujet qui ne peut rapporter que de la douleur à qui le traite et sur lequel les opinions combattent et l’esprit de parti se déchire. Sur ce point, je n’ai point changé, et j’en préviens. Le siége de Paris, ce n’est donc pas moi qui vais en parler ici, c’est Mme Quinet. Moi, je ne veux parler que de Mme Quinet. Je ne veux parler que du livre de Mme Quinet et des impressions de Mme Quinet et de l’éclosion subite et tardive de Mme Quinet dans la vie politique et littéraire, car je ne sache pas qu’elle ait jamais écrit, avant le siége de Paris. Il n’a fallu rien moins que le siége de Paris pour faire partir ce baril de poudre patriotique et de phrases sur lequel Edgar Quinet fumait, comme Jean-Bart, sa pipe tranquillement, depuis trente ans, sans l’allumer. Les bas-bleus sont de mon ressort, et ici je ne suis qu’un critique littéraire. Or voici un bas-bleu de plus ! Un de plus dans le torrent, ce n’est en soi chose ni bien importante, ni bien nouvelle, mais celui-ci n’est pas le premier venu. Il a quelque ragoût. Il ne ressemble pas à tous les autres, et même il est marqué d’un caractère si particulier, — si peu ordinaire aux bas-bleus, — que le lecteur et moi, — malgré la tristesse du sujet qu’elle traite, — nous aurons peut-être de l’agrément à nous entretenir aujourd’hui de Mme Quinet.


II


C’est en effet un bas-bleu d’une espèce étrange ! C’est un bas-bleu… conjugal ! D’ordinaire les bas-bleus sont peu conjugaux… du moins dans le mariage. Ils con-