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d’abord et de plus consolant et de plus fortifiant ensuite que ce livre qui commence par des cris et qui finit par des cris encore, car l’Alléluia des Saints dans le Paradis est un cri !


VII


C’est une conception du Paradis, en effet, et c’est sa raison suffisante, que ce livre des Horizons célestes. D’une simplicité toute féconde, cette conception a du moins pour elle l’innocence, si elle n’a pas le réel de la vérité. L’Église, en laquelle nous croyons, nous ; l’Église qui a tiré le voile du mystère sur le bonheur réservé à ses Justes, n’a pas défendu, que je sache, à l’imagination des hommes de se figurer cette félicité des élus, pourvu qu’on n’altérât jamais la pureté sans tache de cette félicité divine.

L’Église a laissé faire au Dante son rêve immense et elle a souffert dans son sein ces autres poëtes, appelés mystiques, qui souvent ont été des Saints, et qui, eux aussi, ont cherché à percer le ciel de leur regard et à voir ce qu’il y avait derrière cette éternité éblouissante ! Eh bien ! ce que l’Église nous permet à nous, une femme qui n’est pas de notre communion, — une glaneuse libre de vérités ; privée, hélas ! du bonheur de sentir le lien de l’orthodoxie autour de sa gerbe mystique, qui peut se rompre tout à l’heure et s’en aller, comme les épis au vent, à l’erreur, — Mme de Gasparin l’a fait, comme elle s’en croyait le droit, et le Paradis qu’elle a vu, comme Dante a vu le sien, est, autant que celui du Dante, une vision chrétienne ; mais splendide encore plus d’intelligence et de pureté que splendide de sa splendeur même. La vision de la simple femme doit, à ce qu’il semble, étancher mieux que la création du génie, la soif dévorante de connaître, qui prend la créature raisonnable et immortelle devant le mur de son tombeau !