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compte parmi les plus brillantes, Dorsay avait souffert plus que jamais des plaisanteries de ses amis. Ces plaisanteries qu’ils infligeaient à sa vanité de fat étaient d’un goût si parfait et d’un ton si mesuré dans les termes qu’il était impossible à un homme de bonne compagnie de montrer de l’humeur ou du courroux, mais l’intention en était si blessante, si triomphante surtout, qu’il fallait d’un autre côté une grande puissance sur soi-même ou une grande peur de l’inconvenable pour se contenir en les entendant. Dorsay les écoutait les lèvres tremblantes, le front pâle et les traits frappés d’un vague sourire qui s’efforçait d’être insouciant et gai. Elles murmuraient, bruissaient, ricanaient, éclataient à ses oreilles dans cent bouches différentes, avec une foule d’accents divers. Il lui semblait que vingt mains de démon jouassent de la harpe avec son âme pour en tirer les vibrations les plus aiguës, et taquinassent avec une étrange volupté d’ironie jusque ses plus subtiles, ses plus déliées fibrilles nerveuses. La jeune fille qui levait sur lui son grand œil noir, plein de la rosée et du soleil matinal de la vie, ne pensait guère que cet homme vanté et charmant était tout à l’heure déchiré de supplice, dans ces délicieux moments d’un bal, et que