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possible. C’est quelque chose de noble, il est vrai, quelque chose de dévoué, que cette vie que l’on s’impose, que cette feintise éternelle, que ces caresses, chaudes à peine de souvenirs, pour retarder, ne fût-ce que d’une heure, la douleur de celle qui nous aime. Mais puisque cette douleur est inévitable, n’est-il pas plus sage de la faire présente, car elle sera plus tôt passée… Quoi qu’il en soit, Dorsay n’employa ni l’un ni l’autre des moyens que je dis. Il fit comme un mari qui a une jolie femme et des maîtresses, agissant ainsi autant par faiblesse de caractère que par vanité. On le conçoit. Nous sommes bien beaux quand nous nous mirons dans des prunelles adorées, mais il n’y a que les pleurs que nous faisons couler qui nous réfléchissent Jupiter.

Le monde a un ignoble mot dont il flétrit les affections qu’il n’autorise pas. Il dit : Ce monsieur tel vit avec madame telle. Je ne sache rien de plus dégoûtant que ce mot. C’est le coup d’une cravache sale de boue qui cingle au visage et au cœur. C’est le ravalement, la dégradation d’une idée divine. Vivre avec une femme ! Vivre avec elle, vivre avec toi, c’est-à-dire ne sentir, ne penser qu’ensemble, se transfondre, se perdre, bouches, regards, haleines, battements de cœur,