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de l’ancienne maison du curé, située dans un carrefour solitaire où six chemins aboutissaient et se coupaient à angle aigu. Un assez vaste corps de bâtiment qui subsistait encore appartenait alors à un cultivateur qui ne l’habitait pas, mais qui l’utilisait en y engrangeant ses orges et ses foins. On disait que c’était un lieu hanté par les mauvais esprits et qu’on y rencontrait parfois de gros chats, qui marchaient obstinément à côté de vous, dans la route, et qui tout à coup se mettaient à vous dire bonsoir avec des airs fort singuliers. La Cocouan ne tenait pas infiniment à aller jusque-là, aux approches de la nuit, pour s’en revenir seule et monter les chasses qui y conduisaient. Elle se retourna pour regarder Jeanne qui s’éloignait en sautant les mares, d’une pierre sur l’autre, dans ces chemins défoncés. Et quand elle eut vu tourner sa pelisse bleue au bout d’une haie :

« Elle est moins peureuse que moi, — fit-elle comme se parlant à elle-même, — et plus jeune : elle a eu plus d’éducation que nous toutes. C’est la fille de Louisine-à-la-hache, et c’est une Feuardent par son père. J’ai ouï dire à défunt le mien que c’étaient là des gens qui n’ont jamais rencontré, sous la calotte des cieux, rien qui pût les épouvanter. »

Et, rassurée sur le sort de Jeanne, elle revint sur ses pas, fit une révérence et se signa devant la croix de pierre grise qui s’élevait au centre du cimetière, en fit encore une avec un autre signe de croix, en passant entre l’if au feuillage glauque et le portail de l’église, en face duquel, selon l’ancienne coutume, cet arbre des morts était planté, et elle regagna