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« Il faut que je me dépêche, ma pauvre Nônon, — fit Jeanne, — car j’ai un bon bout de chemin d’ici chez nous. J’ai laissé aller nos gens après les vêpres, et me suis attardée à l’église. Les chemins sont mauvais, et on ne va guère vite avec des sabots. Bonsoir donc, Nônon ; si vous venez au Clos cette semaine, vous savez bien, ma fille, qu’il y a toujours une petite collation pour vous.

— Vous êtes bien honnête, madame Le Hardouey, — dit Nônon Cocouan. Et, sans doute pour payer une politesse par une autre : — Voulez-vous que j’aille quant et vous jusqu’au Vieux Presbytère ? — ajouta-t-elle.

— Merci, ma fille, merci, — répondit Jeanne. — Je ne suis pas peureuse, et j’irai si vite que je rattraperai peut-être nos gens. »

Et lestement, et avec l’aisance des femmes de la campagne, elle franchit l’échalier avec ses sabots et ses jupes, se souciant peu de montrer à Nônon Cocouan et la couleur de ses jarretières et les plus belles jambes qui eussent jamais passé bravement à travers une haie et sauté, pieds joints, un fossé.

Nônon n’insista pas. Elle avait une déférence respectueuse pour Jeanne Le Hardouey, qu’elle avait connue mademoiselle de Feuardent, il y avait des années. Elle lui eût bien volontiers rendu service, mais Nônon avait toutes les superstitions du pays où elle était née. Le Vieux Presbytère ou, pour parler comme on parlait dans le patois de la contrée, le Vieux Probytère était aussi redouté que la lande de Lessay elle-même. C’était la ruine abandonnée, il y avait longtemps déjà,