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poésie ; ce sont les matrones de l’invention humaine qui pétrissent, à leur manière, les réalités de l’Histoire. — Oui, je sais qui c’est, ma chère madame Le Hardouey, — dit la volubile Nônon en remontant avec Jeanne la nef déserte et en lui donnant de l’eau bénite au bénitier. — J’lai demandé à Barbe Causseron, la servante à M. le curé. Barbe dit que c’est un moine de l’Abbaye qui a chouanné dans le temps, et que c’est les scélérats de Bleus qui lui ont mis la figure dans l’état horrible où il l’a ! Jésus ! mon doux Sauveur ! c’n’est plus la face d’un homme, mais d’un martyr ! Il y aura, demain lundi, huit jours qu’il arriva chez m’sieur le curé, à la tombée, m’a conté la Barbe Causseron, et, sur la sainte croix, il n’avait pas trop l’air de ce qu’il était, car il portait de grosses bottes et des éperons comme un gendarme, et, joint à cela, une espèce de casaque qui ne ressemble pas beaucoup à la lévite de messieurs les prêtres. Quand il entra avec cette figure chigaillée, la malheureuse Barbe, qui n’est pas trop cœurue, faillit avoir le sang tourné. Fort heureusement que M. le curé, qui lisait son bréviaire le long de l’espalier à pêchers de son jardin, arriva et lui fit bien des politesses comme à un homme de grande famille qu’il est, et qui aurait été abbé de Blanchelande et évêque de Coutances sans la Révolution ; enfin, un ami de Mgr Talaru, l’ancien évêque émigré ! Tant il y a donc que depuis qu’il est au presbytère m’sieur le curé ne mange plus dans sa cuisine, mais dans la p’tite salle à côté ; et Barbe, qui les sert à table, a entendu toutes leurs conversations. Il paraît que le nouveau gouvernement a proposé à cet