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de ses mains gantées, se tourna vers l’assistance pour la bénir, à cette minute suprême Jeanne oublia de baisser la tête. Elle rêvait ! elle se demandait ce qu’il pouvait être arrivé à une créature humaine pour avoir sur sa face l’empreinte d’un pareil martyre, et ce qu’il y avait dans son âme pour la porter avec un pareil orgueil. Elle resta si absorbée dans sa fixe rêverie, après la bénédiction, qu’elle ne s’aperçut pas que le salut était fini. Elle n’entendit pas les sabots de la foule qui s’écoulait, en diminuant, par les deux portes latérales, et ne vit point l’église vidée qui s’enfonçait peu à peu dans la fumée des cierges éteints et les cintres effacés des voûtes, comme dans une mer de silence et d’obscurité.

« Suis-je folle de rester là ! » — dit-elle, tirée tout à coup de son rêve par le bruit de la chaîne de la lampe du chœur, que le sacristain venait de descendre pour y renouveler l’huile de la semaine. Et elle prit une petite clef, ouvrit un tiroir placé sous son prie-Dieu, et y déposa son paroissien. Elle pensait qu’elle s’était attardée en voyant l’église si sombre, et elle se levait, quand le bruit clair d’un sabot lui fit tourner la tête, et elle aperçut Nônon Cocouan, qui était sortie avant tout le monde, mais qui rentrait et venait à elle.

« Je sais qui c’est, ma chère dame, — dit Nônon Cocouan, avec cet air ineffable et particulier aux commères. Et ceci n’est point une injure, car les commères, après tout, sont des poétesses au petit pied qui aiment les récits, les secrets dévoilés, les exagérations mensongères, aliment éternel de toute