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ressemblent à ce bonheur dont on a dit qu’il n’a pas d’histoire.

L’histoire, en effet, manque aux Chouans. Elle leur manque comme la gloire, et même comme la justice. Pendant que les Vendéens, ces hommes de la guerre de grande ligne, dorment, tranquilles et immortels, sous le mot que Napoléon a dit d’eux, et peuvent attendre, couverts par une telle épitaphe, l’historien qu’ils n’ont pas encore, les Chouans, ces soldats de buisson, n’ont rien, eux, qui les tire de l’obscurité et les préserve de l’insulte. Leur nom, pour les esprits ignorants et prévenus, est devenu une insulte. Nul historien d’autorité ne s’est levé pour raconter impartialement leurs faits et gestes. Le livre assez mal écrit, mais vivant, que Duchemin des Scépeaux a consacré à la Chouannerie du Maine, inspirera peut-être un jour le génie de quelque grand poète ; mais la Chouannerie du Cotentin, la sœur de la Chouannerie du Maine, a pour tout Xénophon un sabotier, dont les mémoires, publiés en 1815 et recherchés du curieux et de l’antiquaire, ne se trouvent déjà plus. Dieu, pour montrer mieux nos néants sans doute, a parfois de ces ironies qui attachent le bruit aux choses petites et l’obscurité aux choses grandes, et la Chouannerie est une de ces grandes choses obscures auxquelles, à défaut de la lumière intégrale et pénétrante