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Cocouan avait l’âme ardente et portait dans toutes les pratiques de sa vie la flamme longtemps contenue d’une jeunesse sans apaisement. Aussi les mauvais plaisants, les beaux parleurs impies de Blanchelande la nommaient-ils une hanteuse de confessionnal. Que pouvaient-ils comprendre à cette rose mystique sauvage, dont la brûlante profondeur devait leur rester à jamais cachée ?

Cependant, je suis bien forcé de l’avouer, malgré ma sympathie très vive pour les vieilles filles dévotes, espèce de femmes envers lesquelles on a toujours été d’une injustice aussi superficielle que révoltante, Nônon Cocouan avait les petitesses, les enfantillages et les défauts de son type. Elle aimait les prêtres, non seulement dans leur ministère, mais dans leurs personnes. Elle aimait à s’occuper d’eux et de leurs affaires. Elle en était idolâtre. Idolâtrie très pure, du reste, mais qui avait bien ses ridicules et ses légers inconvénients. Jeanne Le Hardouey s’était bien adressée, en l’interrogeant, pour savoir le nom du prêtre imposant qui l’avait tant frappée. Nul dans tout Blanchelande ne devait savoir ce qu’il était, si Nônon Cocouan ne le savait pas.

Jeanne Le Hardouey prit enfin son parti de cette ignorance. Sa curiosité excitée n’était pas de la même nature que celle de Nônon. Ces deux femmes différaient par trop de côtés pour éprouver, sur ce point-là, rien de semblable. La curiosité de Jeanne tenait à des choses qui venaient autant de sa destinée que de son caractère. Et d’ailleurs, pour le moment, cet intérêt et cette curiosité n’avaient pas une intensité