Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne put s’empêcher d’en faire l’application à ce prêtre inconnu, à l’air si étrangement dominateur !

Elle se retourna et demanda à Nônon Cocouan, la couturière, qui était agenouillée sur le banc placé derrière le sien, si elle connaissait ce prêtre, qu’elle lui désigna, et qui était resté debout, adossé à la stalle fermée ; mais Nônon Cocouan, quoique fort au courant des choses et du personnel de l’église de Blanchelande, pour laquelle elle travaillait, eut beau regarder et s’informer en chuchotant à deux ou trois commères des bancs voisins, elle ne put ramasser que des négations ou des hochements de tête, et fut obligée d’avouer à Jeanne qu’elle ni personne dans l’église ne connaissait le prêtre en question.

Nônon était une de ces vieilles filles entre trente-cinq et quarante ans, plus près de quarante que de trente-cinq, qui ont été belles et un peu fières, qui ont inspiré l’amour sans le partager, ou qui, si elles l’ont éprouvé, l’ont caché soigneusement dans leur âme, car c’était pour quelqu’un de plus haut placé qu’elles, et qu’elles ne pouvaient avoir, comme dit l’expression populaire avec tant de mélancolie ; enfin une de ces belles pommes de passe-pomme qui ont, hélas ! passé malgré le ferme et frais tissu de leur chair blanche et rose, mais qui, comme la nèfle, meurtrie par l’hiver, devait conserver une douce saveur jusque dans l’hiver de la vie !

Comme toutes ces dévotes à qui la joie et les tendresses maternelles ont manqué, et qui n’ont plus à se cacher de l’amour de Dieu comme elles se cachaient autrefois de l’amour d’un homme, Nônon