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soleil ne les vivifie pas de ses rayons. Ces vitraux, mêlés à la vitre vulgaire noircie par le temps, étaient des débris sauvés de l’abbaye détruite. La femme dont j’ai parlé s’unissait à mi-voix à la psalmodie des prêtres. Son paroissien, de maroquin rouge, à tranche dorée, imprimé à Coutances avec approbation et privilège de Mgr…, le premier évêque de ce siège après la Révolution, indiquait par son luxe (un peu barbare) qu’elle n’était pas tout à fait une paysanne, ou que du moins c’était une richarde, quoique son costume ressemblât beaucoup à celui de la plupart des femmes qui occupaient les autres bancs de la nef. Elle portait un mantelet ou pelisse, d’un tissu bleu-barbeau, à longs poils, dont la cape doublée de même couleur tombait sur ses épaules, et elle avait sur la tête la coiffure traditionnelle des filles de la conquête, la coiffure blanche, très élevée et dessinant comme le cimier d’un casque, dont un gros chignon de cheveux châtains, hardiment retroussés, formait la crinière. Cette femme avait pour mari un des gros propriétaires de Blanchelande et de Lessay, qui avait acquis des biens nationaux, homme d’activité et d’industrie, un de ces hommes qui poussent dans les ruines faites par les révolutions, comme les giroflées (mais un peu moins purs) dans les crevasses d’un mur croulé ; un de ces compères qui pêchent du moins admirablement dans les eaux troubles, s’ils ne les troublent pas pour mieux y pêcher. Autrefois, quand elle était jeune fille, on appelait cette femme Jeanne-Madelaine de Feuardent, un nom noble et révéré dans la contrée ; mais depuis son mariage, c’est-à-dire depuis