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heureux de mourir. Mais voici mes adieux à sa damnée carcasse. Regardez ! »

Il marcha au lit du Chouan, et, saisissant avec ses ongles les ligatures de son visage, il les arracha d’une telle force qu’elles craquèrent, se rompirent, et durent ramener à leurs tronçons brisés des morceaux de chair vive enlevés aux blessures qui commençaient à se fermer. On entendit tout cela plutôt qu’on ne le vit, car la nuit était tout à fait tombée, mais ce fut quelque chose de si affreux à entendre que Marie Hecquet s’évanouit.

Un rugissement rauque qui n’avait plus rien de l’homme sortit, non plus de la poitrine du blessé, mais comme de la profondeur de ses flancs. C’était la puissance de la vie forcée par la douleur dans son dernier repaire et qui poussait un dernier cri.

« Et maintenant, — dit l’exécrable sergent des Colonnes Infernales, — salons le Chouan avec du feu ! »

Et tous les cinq prirent de la braise rouge dans l’âtre embrasé, et ils en saupoudrèrent ce visage, qui n’était plus un visage. Le feu s’éteignit dans le sang, la braise rouge disparut dans ces plaies comme si on l’eût jetée dans un crible.

« Qu’il vive maintenant, s’il peut vivre, — dit le sergent, — et que la vieille fasse sa lessive, si elle veut ! Laissons-les comme les voilà, à tous les diables ! Voici la nuit ; on n’y voit pas son poing devant soi, dans cette cahute, depuis que nous avons pris le feu pour cuire la grillade de ce Chouan. Il faut partir. Haut les fusils, camarades, et en avant !… »