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Chouanne, et ils s’avancèrent sur elle en poussant des cris.

« Hélas ! c’est des chauffeurs, — dit-elle. — Jésus ! ayez pitié de nous !

— Brigande, — fit le chef de la troupe, — nous t’avons vue marmotter ta prière : tu dois avoir des Chouans cachés dans ton chenil.

— Je n’ai que mon fils qui se meurt, — dit-elle, — et qui s’est blessé à la tête en revenant de la chasse. » Et elle les suivit, pâle et tremblante, car ils s’étaient rués dans la maison comme eût fait une bande de sauvages.

Ils allèrent d’abord au lit, découvrirent avec leurs mains brutales le blessé dévoré de fièvre, et reculèrent presque en voyant cette tête enflée, hideuse, énorme, masquée de bandelettes et de sang séché.

« Cela ! ton fils ! — dit celui qui avait parlé déjà. — Pour ton fils, il a les mains bien blanches, — ajouta-t-il en relevant avec le fourreau de son sabre une des mains du Chouan qui pendait hors du lit. — Par la garde de mon briquet, tu mens, vieille ! C’est quelque blessé de la Fosse qui se sera traîné jusqu’ici, après la débâcle. Pourquoi ne l’as-tu pas laissé mourir ? Tu mériterais que je te fisse fusiller à l’instant même, ou que mes camarades et moi rôtissions avec les planches de ton baquet les manches à balai qui te servent de jambes ! Ramasser un pareil bétail ! Heureusement pour ta peau que le brigand est diablement malade. Nos camarades l’ont arrangé de la belle manière, à ce qu’il paraît. Mille têtes de rois ! quelle hure de sanglier égorgé ! Cela ne vaut pas la balle qui