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Mais pour Marie Hecquet, cette femme antique, restée ferme de cœur dans la religion de ses pères et dans les souvenirs de son berceau, ces sept heures sonnant, n’importe où, étaient demeurées l’heure bénie qui descendait autrefois des clochers, à présent muets, dans les campagnes, et qui conviaient à la prière du soir. Aussi, dès qu’elle les entendit, elle laissa retomber au fond du baquet les linges qu’elle tordait et qu’elle allait étendre au noisetier voisin, et portant sa vieille main mouillée à ce front jaune comme le buis aux yeux des hommes, mais pur comme l’or aux yeux de Dieu, elle se mit, la noble bonne femme, à réciter son Angelus.

Ce qui doit nous sauver peut nous perdre. Ce signe de croix fut son malheur.

Cinq Bleus, sortis à pas de loup de la forêt en face, s’étaient arrêtés sur le bord du chemin. Appuyés sur leurs fusils, éveillés, silencieux, l’œil plongeant dans toutes les directions de la route, ils guettaient çà et là, comme des chiens en train de battre le buisson et de faire lever le gibier. Leur gibier à eux, c’était de l’homme ! Ils chassaient au Chouan. Ils espéraient saisir, après leur récente défaite, quelques-uns de ces hardis partisans éparpillés dans le pays. Depuis quelques minutes déjà ils se montraient par signes, les uns aux autres, la chaumière ouverte de la mère Hecquet, dont le soir rougissait l’argile, et cette pauvre femme qui savonnait à son seuil. Quand elle redressa son corps penché sur son ouvrage pour faire le signe de la Rédemption, à ce signe qu’on leur avait appris à maudire, ils ne doutèrent plus qu’elle ne fût une