Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses couvertures, sonner la messe nocturne de l’abbé de la Croix-Jugan !

— Et quel est cet abbé de la Croix-Jugan, maître Tainnebouy, — repris-je, — lequel se permet de dire la messe à une heure aussi indue dans toute la catholicité ?

— Ne jostez pas ! monsieur, — répondit maître Louis. — Il n’y a pas de risée à faire là-dessus. C’était une créature qui en a rendu d’autres aussi malheureuses et criminelles qu’elle était. Vous me parliez des Chouans il n’y a qu’une minute, monsieur ; eh bien ! il paraît qu’il avait chouanné, tout prêtre qu’il fût, car il était moine à l’abbaye de Blanchelande quand l’évêque Talaru, un débordé qui s’est bien repenti depuis, m’a-t-on conté, et qui est mort comme un saint en émigration, y venait faire les quatre coups avec les seigneurs des environs ! L’abbé de la Croix-Jugan avait pris sans doute, dans la vie qu’on menait lors à Blanchelande, de ces passions et de ces vices qui devaient le rendre un objet d’horreur pour les hommes et pour lui-même, et de malédiction pour Dieu. Je l’ai vu, moi, en 18…, et je puis dire que j’ai vu la face d’un réprouvé qui vivait encore, mais comme s’il eût été plongé jusqu’au creux de l’estomac en enfer. »

Ce fut alors que je demandai à mon compagnon de voyage de me raconter l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan, et le brave homme ne se fit point prier pour me dire ce qu’il en savait. J’ai toujours été grand amateur et dégustateur de légendes et de superstitions populaires, lesquelles cachent un sens plus profond