Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à Noël, en décembre, pour qu’on sonne la messe de minuit ?

— Je le sais aussi bien que vous, monsieur, — dit-il d’un ton grave ; — mais la messe de l’abbé de la Croix-Jugan n’est pas une messe de Noël, c’est une messe des Morts, sans répons et sans assistance, une terrible et horrible messe, si ce qu’on en rapporte est vrai.

— Et comment peut-on le savoir, — repartis-je, — si personne n’y assiste, maître Louis ?

— Ah ! monsieur, — dit le fermier du Mont-de-Rauville, — voici comment j’ai entendu qu’on le savait. Le grand portail de l’église actuelle de Blanchelande est l’ancien portail de l’abbaye, qui a été dévastée pendant la Révolution, et on voit encore dans ses panneaux de bois de chêne les trous qu’y ont laissés les balles des Bleus. Or, j’ai ouï dire que plusieurs personnes qui traversaient de nuit le cimetière pour aller gagner un chemin d’ifs qui est à côté, étonnées de voir ces trous laisser passer de la lumière à une telle heure et quand l’église est fermée à clef, ont guetté par là et ont vu c’te messe, qu’elles n’ont jamais eu la tentation d’aller regarder une seconde fois, je vous en réponds ! D’ailleurs, monsieur, ni vous ni moi ne sommes dans les vignes ce soir, et nous venons d’entendre parfaitement les neuf coups de cloche qui annoncent l’Introïbo. Il y a vingt ans que tout Blanchelande les entend comme nous, à des époques différentes ; et dans tout le pays il n’est personne qui ne vous assure qu’il vaut mieux dormir et faire un mauvais somme que d’entendre, du fond de