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servir. Nous allions lentement, à cause du pied malade de la Blanche, et aussi à cause des grosses bottes que nous traînions. Si nous nous taisions un moment, ce qui me frappait le plus dans ces flots de brouillard et d’obscurité, c’était le mutisme morne des airs chargés. L’immensité des espaces que nous n’apercevions pas se révélait par la profondeur du silence. Ce silence, pesant au cœur et à la pensée, ne fut pas troublé une seule fois pendant le parcours de cette lande, qui ressemblait, disait maître Tainnebouy, à la fin du monde, si ce n’est, de temps à autre, par le bruit d’ailes de quelque héron dormant sur ses pattes, que notre approche faisait envoler.

Nous ne pouvions guères, dans une obscurité aussi complète, apprécier le chemin que nous faisions. Cependant des heures retentirent à un clocher qui, à en juger par la qualité du son, nous parut assez rapproché. C’était la première fois que nous entendions l’heure depuis que nous étions dans la lande ; nous arrivions donc à sa limite.

L’horloge qui sonna avait un timbre grêle et clair qui marqua minuit. Nous le remarquâmes, car nous avions compté l’un et l’autre et nous ne pensions pas qu’il fût si tard. Mais le dernier coup de minuit n’avait pas encore fini d’osciller à nos oreilles, qu’à un point plus distant et plus enfoncé dans l’horizon nous entendîmes résonner non plus une horloge de clocher, mais une grosse cloche, sombre, lente et pleine, et dont les vibrations puissantes nous arrêtèrent tous les deux pour les écouter.

« Entendez-vous, maître Tainnebouy ? — dis-je