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s’il l’avait su jamais, tout ce qui, à mes yeux, sacrait ses pères. Hormis ces faits généraux et notoires, qui m’étaient aussi familiers qu’à lui, il n’ajouta pas l’obole du plus petit renseignement à mes connaissances sur une époque aussi intéressante à sa manière que l’époque de 1745, en Écosse, après la grande infortune de Culloden. On sait que tout ne fut pas dit après Culloden, et qu’il resta encore dans les Highlands plusieurs partisans en kilt et en tartan, qui continuèrent, sans réussir, le coup de feu, comme les Chouans à la veste grise et au mouchoir noué sous le chapeau le continuèrent dans le Maine et la Normandie après que la Vendée fut perdue. Ce que j’aurais voulu, c’est qu’au moins le souvenir de cette guerre eût laissé une étincelle des passions de ses pères dans l’âme du neveu de Bras-de-Violon. Or, je dois le dire, j’eus beau souffler dans cette âme l’étincelle que je cherchais, je ne la trouvai pas. Le Temps, qui nous use peu à peu de sa main de velours, a une fille plus mauvaise que lui : c’est la Légèreté oublieuse. D’autres intérêts, d’un ordre moins élevé mais plus sûr, avaient saisi de bonne heure l’activité de maître Tainnebouy. La politique, pour ce cultivateur occupé de ses champs et de ses bestiaux, se trouvait trop hors de sa portée pour n’être pas un objet fort secondaire dans sa vie. À ses yeux de paysan, les Chouans n’étaient que des réveille-matin un peu trop brusques, et il était plus frappé de quelques faits de maraudage, de quelques jambons qu’ils avaient dépendus de la cheminée d’une vieille femme, ou d’un tonneau qu’ils avaient mis à dalle dans une cave, que de la cause pour laquelle ils