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chaude du sein qui la porta et des lèvres qui la racontèrent, dans le cœur et la mémoire de la génération qui l’a suivie. Encore sous l’empire des impressions que j’avais éprouvées, rien d’étonnant que ce nom de Chouans, prononcé dans les circonstances extérieures où j’étais placé, réveillât en moi de puissantes curiosités assoupies.

« Est-ce que vous auriez fait la guerre des Chouans ? — demandai-je à mon compagnon, espérant que j’allais avoir une page de plus à ajouter aux Chroniques de cette guerre nocturne de Catérans bas-normands, qui se rassemblaient aux cris des chouettes et faisaient un sifflet de guerre de la paume de leurs deux mains.

— Nenni pas, monsieur, — me répondit-il après avoir allumé sa pipe et l’avoir coiffée d’une espèce de bonnet de cuivre, attaché à une chaînette du même métal qui tenait au tuyau. — Nenni-da ! J’étais trop jeune alors ; je n’étais qu’un marmot bon à fouetter. Mais mon père et mon grand-père, qui ont toujours été un peu de la vache à Colas, ont chouanné dans le temps comme leurs maîtres. J’ai même un de mes oncles qui a été blessé de deux chevrotines dans le pli du bras, au combat de la Fosse, auprès de Saint-Lô, sous M. de Frotté. C’était un joyeux vivant que mon oncle, qui jouait du violon comme un meunier et aimait à faire pirouetter les filles. J’ai ouï dire à mon oncle que sa blessure, le soir même du combat, ne l’empêcha pas de jouer de son violon à ses camarades, dans une grange, pas bien loin de l’endroit où le matin on s’était si fort capuché. On s’attendait à voir les Bleus