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histoire. — D’ailleurs, vous avez entendu les neuf coups de Blanchelande, il faut bien que vous sachiez pourquoi ils ont sonné. Puisque je vous ai dit tout ceci, il faut bien que j’achève, quoique p’t-être il aurait mieux valu ne pas commencer. »

Il était évident que le fermier du Mont-de-Rauville, cette bonne tête si raisonnable, si calme et d’un sens si affermi par la pratique de la vie, était la proie d’une terreur secrète, qui venait sans doute de l’enfant qu’il avait perdu au berceau après avoir entendu sonner les neuf coups de Blanchelande, et que, dans tous les cas, pour une raison ou pour une autre, il se repentait d’avoir comméré sur les morts.

Il surmonta pourtant sa répugnance, et il reprit :

« Il y avait un an, jour pour jour, que l’abbé de La Croix-Jugan était décédé : on était donc au jour de Pâques de l’année ensuivant. L’année s’était passée à beaucoup causer de lui et à la veillée dans les fermes, et en revenant, sur le tard, des foires et des marchés, et partout…

« C’était une dierie qui ne finissait pas, et dont j’ai eu moi-même les oreilles diantrement battues et rebattues dans ma jeunesse. Que oui, cette dierie a duré longtemps !

« J’ai vu, dans ces époques-là, et à Lessay, un tauret blanc qui avait des cornes noires entrelacées et recourbées sur son mufle comme l’ancien capuchon du moine, et qu’on appelait pour cette raison le moine de Blanchelande, tant on était imbu de l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan ! Le surnom, du reste, avait porté malheur à la bête, car elle s’était éventrée