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allumée, les primevères qui jonchaient la nef, ces premières primevères de l’année que les prêtres étendent sur les autels lavés du Samedi Saint et dont les débris odorants de la veille se mêlaient à la forte et tonique senteur du buis coupé, tous ces détails avaient aussi leur émotion sainte. La procession étincelait d’ornements magnifiques donnés par la comtesse de Montsurvent et qu’on portait alors pour la première fois. Elle avait voulu que son grand abbé de la Croix-Jugan (c’est ainsi qu’elle avait coutume de l’appeler) ne dît sa première messe depuis sa pénitence que dans une pourpre et une splendeur dignes de lui ! Comme il est d’usage, il venait le dernier dans cette foule solennelle, précédé du curé de Varenguebec et de l’abbé Caillemer, tous deux en dalmatique, car ils devaient l’assister comme diacre et sous-diacre à l’autel. La foule tendait le cou sur son passage, et plusieurs jeunes filles montèrent même sur les banquettes de leurs bancs lorsqu’il s’avança dans la nef. Le jour bleu qui entrait alors par le portail tout grand ouvert et qui répandait ses clartés jusqu’au fond du chœur dans son mystère de vitraux sombres, et tournait ses blancheurs vives autour des piliers, frappait bien en face ce visage extraordinaire qu’on voulait voir, tout en frémissant de le regarder, et qui produisait la magnétique horreur des abîmes. Seulement (sans y penser assurément) l’abbé de la Croix-Jugan devait impatienter cette curiosité, avide de le contempler enfin dans l’ensemble de son atterrante physionomie. Comme officiant, il portait l’étole, l’aube et la chape, mais il avait gardé son capuchon