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que vous avez fait de moi et… d’elle, n’ pouvez-vous me montrer son destin dans votre miroir et m’ dire s’il doit charger la terre du poids de son corps encore bien longtemps ? »

Le silence et l’immobilité des bergers avaient quelque chose de plus irritant, de plus insolent, de plus implacable que les plus outrageantes paroles. C’était comme l’indifférence de ce sourd destin qui vous écrase sans entendre tomber vos débris !

« Brutes ! — reprit Thomas Le Hardouey, — vous ne répondez donc pas ? — Et sa voix monta jusqu’aux éclats de la colère ! — Eh bien, je me passerai de vous ! — et l’expression dont il se servit, il l’accompagna d’un blasphème. — Gardez vos miroirs et vos sorcelleries. Je saurai à moi tout seul quel jour il doit mourir, cet abbé de la Croix-Jugan !

— Demandez-li, maître Thomas, — fit le berger d’un ton de sarcasme. — Le v’là qui vient ! Entend’ous hennir sa pouliche ? »

Et, en effet, le cavalier et le cheval, lancés à triple galop, passèrent dans l’obscurité comme un tourbillon, et frisèrent de si près les pâtres et Le Hardouey qu’ils sentirent la ventilation de ce rapide passage, et qu’elle courut sur la braise en une petite flamme qui s’éteignit aussitôt.

« Tâchez donc de le rattraper, maître Thomas ! » — cria le berger, qui prenait un plaisir cruel à souffler la colère de Le Hardouey.

Celui-ci frappa de son bâton une pierre du chemin, qui jeta du feu et se brisa sous la force du coup.

« Vère ! — reprit le pâtre, — frappez les pierres.