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reprit le pâtre, continuant son abominable ironie et reprenant le cœur de cet homme silencieux, comme Ugolin le crâne de son ennemi, pour y renfoncer une dent insatiable.

Si c’était Le Hardouey, cet homme carabiné de corps et d’âme, disait Tainnebouy, pour renvoyer l’injure et la payer comptant, sur place, à celui qui la lui jetait, il était donc bien changé pour ne pas bouillir de colère en entendant les provocantes et dérisoires paroles de ce misérable berger !

« Tais-toi, damné ! — finit-il par dire d’un ton brisé… mais avec une amère mélancolie, — les morts sont les morts… et les vivants, on croit qu’ils vivent, et les vers y sont, quoiqu’ils parlent et remuent encore. J’ ne suis pas venu pour parler avec toi de celle qui est morte…

— Porqué donc que vous êtes revenu ? — dit le berger incisif et calme comme la Puissance, toujours assis sur sa pierre et les mains étendues sur son brasier.

— Je suis venu, — répondit alors Thomas Le Hardouey, d’une voix où la résolution comprimait de rauques tremblements, — pour vendre mon âme à Satan, ton maître, pâtre ! J’ai cru longtemps qu’il n’y avait pas d’âme, qu’il n’y avait pas de Satan non plus. Mais ce que les prêtres n’avaient jamais su faire, tu l’as fait, toi ! Je crois au démon, et je crois à vos sortilèges, canailles de l’enfer ! On a tort de vous mépriser, de vous regarder comme de la vermine… de hausser les épaules quand on vous appelle des sorciers. Vous m’avez bien forcé à croire les bruits qui