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qu’on prenait pour des coureurs de sabbat, se trouvaient assis en rond sur des pierres carrées qu’ils avaient roulées avec leurs sabots jusqu’au pied d’un petit tertre qu’on appelait la Butte aux sorciers. Quand ils n’avaient pas de troupeaux à conduire et par conséquent d’étables à partager avec les moutons qu’ils rentraient le soir, les bergers couchaient dans la lande, à la belle étoile. S’il faisait froid ou humide, ils y formaient une espèce de tente basse et grossière avec leurs limousines et la toile de leurs longs bissacs étendus sur leurs bâtons ferrés, plantés dans le sol. Cette nuit-là, ils avaient allumé du feu avec des plaques de marc de cidre, ramassées aux portes des pressoirs, et de la tourbe volée dans les fermes, et ils se chauffaient à ce feu sans flamme qui ne donne qu’une braise rouge et fumeuse, mais persistante. La lune, dans son premier quartier, s’était couchée de bonne heure.

« La blafarde n’est plus là ! — dit l’un d’eux. — L’abbé doit être dans la lande. C’est lui qui l’aura épeurée.

— Vère ! — dit un autre, qui colla son oreille contre la terre, — j’ouïs du côté du sû[1] les pas de son quevâ, mais il est loin ! »

Et il écouta encore.

« Tiens ! — dit-il, — il y a un autre pas pus près, et un pas d’homme ; quelqu’un de hardi pour rôder dans la lande à pareille heure après nous et cet enragé d’abbé de la Croix-Jugan ! »

  1. pour sud. (Note de l’auteur.)