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dont on parle, pour peu qu’ils aient fait quatre pas. Dans tous les cas, maître Le Hardouey restait absent. On mit ses biens sous le séquestre, et un si long temps s’écoula qu’on finit par désespérer de son retour.

Mais ce que le train ordinaire de la vie ne diminua point et n’emporta point comme le reste, ce fut l’impression de terreur mystérieuse, redoublée encore par les événements de cette histoire, qu’inspirait à tout le pays le grand abbé de la Croix-Jugan. Si, comme maître Thomas Le Hardouey, l’abbé avait quitté la contrée, peut-être aurait-on perdu à peu près ces idées qui, dans l’opinion générale du pays, avaient fait de lui la cause du malheur de Jeanne-Madelaine. Mais il resta sous les yeux qu’il avait attirés si longtemps et dont il semblait braver la méfiance. Cette circonstance de son séjour à Blanchelande, l’inflexible solitude dans laquelle il continua de vivre, et, qu’on me passe le mot, la noirceur de sa physionomie, sur laquelle des ténèbres nouvelles s’épaississaient de plus en plus, voilà ce qui fixa et dut éterniser à Blanchelande et à Lessay la croyance au pouvoir occulte et mauvais que l’abbé avait exercé sur Jeanne, croyance que maître Louis Tainnebouy avait trouvée établie dans tous les esprits. La mort de Jeanne avait-elle atteint l’âme du prêtre ?

« Quand vous lui avez appris qu’elle s’était périe, — avait dit Nônon à la mère Mahé un matin qu’elles puisaient de l’eau au puits Colibeaux, — qué qu’vous avez remarqué en lui, mère Mahé ?

Ren pus qu’à l’ordinaire, — répondit la mère