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ressentie et glacée. Ce n’était plus qu’une poignée d’hommes, la lie du flot qui écumait il n’y avait qu’un moment. La conscience du crime revenait sur eux, sur ce fond et bas-fond humain qui s’opiniâtre au crime quand les coups de violence sont passés ! et toujours allant, mais moins vite, elle grandit si fort en eux, cette conscience, qu’elle les arrêta court, de son bras fort et froid comme l’acier. La peur du crime qu’ils venaient de commettre, et qui peu à peu avait décimé leur nombre, prit aussi ces derniers qui traînaient sur sa claie de fer cette femme tuée par eux, assassinée ! Une autre peur s’ajouta à cette peur. Ils entraient dans la lande, la lande, le terrain des mystères, la possession des esprits, la lande incessamment arpentée par les pâtres rôdeurs et sorciers ! Ils n’osèrent plus regarder ce cadavre souillé de sang et de boue qui leur battait les talons. Ils le laissèrent et s’enfuirent, se dispersant comme les nuées qui ont versé le ravage sur une contrée se dispersent sans qu’on sache où elles ont passé.

Le silence s’étendit dans ces campagnes, devenues tout coup solitaires. Il était d’autant plus profond qu’il succédait à des cris. Le clocher de Blanchelande, dont la sonnerie bruyante s’était arrêtée après vingt-quatre heures de continuelles volées, ne fut plus qu’une flèche muette sur laquelle l’ombre montait à mesure que le soleil penchait à l’horizon. Nul bruit ne venait du bourg. L’affreux spectacle qui l’avait sillonné, comme une vision de sang et de colère, avait laissé comme le poids d’une consternation sur ces maisons dont la terreur du matin semblait en-