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péniblement, et, se plaçant derrière l’homme qui aspergeait alors la tombe, s’avança pour prendre le goupillon qu’il tenait ; mais, au moment de le lui remettre, l’homme regarda la main tendue vers lui et l’être à qui appartenait cette main.

« Oh ! — dit-il en tressaillant, — la Clotte ! »

Et, comme si cette main tendue eût été pestiférée, il recula avec horreur.

« Que viens-tu faire ici, vieille Tousée ? — poursuivit-il, — et pour quel nouveau malheur es-tu donc sortie de ton trou ? »

Le nom de la Clotte, sa présence inattendue, l’accent et le geste de cet homme firent passer dans la foule cette vibration attentive qui précède, comme un avertissement de ce qui va suivre, les grandes scènes et les grands malheurs.

La Clotte avait pâli à ce nom de Tousée qui lui rappelait brutalement un outrage qu’elle n’avait jamais pu oublier. Mais, comme si elle n’eût pas entendu, ou comme si la douleur de la mort de Jeanne l’eût désarmée de toute colère :

« Donne ! que je la bénisse, — fit-elle lentement, — et n’insulte pas la vieillesse en présence de la mort », — ajouta-t-elle avec une ferme douceur et une imposante mélancolie.

Mais l’homme à qui elle parlait était d’une nature rude et grossière, et les habitudes de son métier augmentaient encore sa férocité habituelle. C’était un boucher de Blanchelande, élevé dans l’exécration de la Clotte. Il s’appelait Augé. Son père, boucher comme lui, était un des quatre qui l’avaient liée au