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pensée et à traverser avec ses pieds lents et maudits ! « Oh ! j’arriverai ! » elle se l’était dit plus d’une fois avec espérance. Maintenant elle se disait : « Arriverai-je à temps ? » Nul voyageur à cheval, nul fermier avec sa charrette, qui, peut-être, eussent été touchés de l’énergie trompée de cette sublime infirme qui défaillait et allait toujours, et qui l’auraient prise avec eux, ne passèrent sur cette route solitaire. Ah ! sa poitrine se soulevait d’anxiété et de folle colère. Son cœur trépignait sur ses pieds morts ! Bientôt elle ne put même plus s’arrêter pour reprendre haleine, et comme elle était brisée dans son corps et qu’elle tombait affaissée, ne voulant pas être retardée par sa chute, l’héroïque volontaire se mit à marcher sur les mains, à travers les pierres, tenant dans ses dents le bâton dont elle ne pouvait se séparer et qu’elle mordait avec une exaspération convulsive… Dieu, sans doute, eut pitié de tant de courage et permit qu’elle arrivât à l’église de Blanchelande avant que la messe ne fût dite.

Quand, à moitié morte, elle franchit la grille du cimetière, le prêtre qui officiait chantait la Préface. L’église était trop pleine pour qu’elle pût y pénétrer. Aussi resta-t-elle au seuil d’une des petites portes latérales qui s’ouvrait dans une chapelle de la Vierge, et là, accroupie sur le talon de ses sabots, derrière quelques femmes plantées debout et qui regardaient dans cette chapelle, elle mêla sa prière et sa désolation intérieure à la magnifique psalmodie que l’Église chante sur ses morts, et au croassement des corbeaux dont les noires volées tournaient alors autour du clo-