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tin du jour des funérailles, elle se leva dès l’aurore, s’habilla avec ce qu’elle avait de plus noir dans ses vêtements, et, les deux mains sur le bâton sans lequel elle ne pouvait faire un seul pas, elle commença le pénible trajet qui, pour elle, était un voyage. Il y avait environ une lieue de sa chaumière au clocher de Blanchelande ; mais une lieue pour elle, c’était loin ! Elle ne marchait pas ; elle rampait plutôt sur la partie morte de son être, que son buste puissant et une volonté enthousiaste traînaient d’un effort continu. Les poètes ont parlé quelquefois de l’union de la mort et de la vie. Elle était l’image de cette union, mais la vie était si intense dans sa poitrine appuyée sur ses mains nerveuses, soutenues à leur tour par son bâton noueux… qu’on aurait cru, à certains moments, que cette vie descendait et la reprenait tout entière. Elle allait bien lentement, mais enfin elle allait ! Son front s’empourprait de fatigue. Son austère visage prenait des teintes de feu, comme un vase de bronze rongé par une flamme intérieure dont les flancs opaques, devenus transparents, se colorent.

Quelquefois, trahie par sa force, vaincue, mais non désespérée, elle s’arrêtait, haletante, sur une butte ou un tas de cailloux dans le chemin, puis se relevait et poursuivait sa route pour se rasseoir encore après quelques pas. Les heures s’écoulaient. La cloche de Blanchelande sonna la messe funèbre. La malheureuse l’entendit presque avec égarement ! Elle mesurait, et de quel regard ! à travers les airs, l’espace qui la séparait de l’église, ce qui lui restait à dévorer par la