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vider son calice d’absinthe et de le tenir comme elle avait tenu le verre de l’orgie au château de Haut-Mesnil, tout cela imposait au curé et arrêtait sur sa lèvre timide la parole qui peut convertir. Il le disait lui-même. Cette femme chargée d’iniquités, au fond de sa masure délabrée et sous les vêtements d’une pauvreté rigide, le troublait plus que la comtesse de Montsurvent dans son château et sous le dais féodal qu’elle avait eu le courage de rétablir dans la salle de chêne sculpté de ses ancêtres, comme si la trombe de la Révolution n’avait pas emporté tous les droits et les signes qui représentaient ces droits ! Pour toutes ces raisons, le bon curé s’était bien souvent demandé ce que deviendrait la vieille Clotte… et si, après toute une vie de scandale et d’incrédulité orgueilleuse, il n’était pas grand temps, pour elle, de donner l’exemple du repentir !

Et qui sait ? l’heure peut-être était venue. La mort de Jeanne, dernière goutte d’amertume, avait déjà fait déborder ce cœur qui, pendant des années, avait porté sa misère sans se pencher et sans trembler ! Ce qu’elle n’aurait point fait pour elle, cette femme, qui n’avait jamais demandé quartier à Dieu, l’avait fait pour Jeanne. Elle avait prié. Elle avait retrouvé l’humilité de la prière et des larmes ! Sous le coup de la mort de Jeanne, elle s’était juré à elle-même que, malgré sa paralysie, elle irait jusqu’à l’église de Blanchelande, qu’elle accompagnerait jusqu’à sa tombe celle qu’elle appelait son enfant, et que, si elle ne pouvait pas marcher, elle s’y traînerait sur le cœur ! Eh bien, ce qu’elle s’était juré, elle l’accomplit ! Le ma-